Archiver les récits d’objets

Le projet « Archiver les récits d’objets » est né d’une collaboration entre le Laboratoire Arts des images et art contemporain de l’université Paris 8 (AIAC) et les Maisons de la Sagesse-Traduire autour du principe des « muséobanques », inspiré des banques culturelles africaines de l’Afrique de l’Ouest ; le dispositif permet d’obtenir un prêt pour le développement d’une activité économique ou culturelle en échange du dépôt d’un objet accompagné du récit de sa « biographie ». La valeur du « bien » culturel qui sert de garantie pour ce prêt n’est pas liée ici à sa dimension spéculative, mais à la puissance du récit de vie qu’il porte. Dans ce contexte s’établissent de nouvelles conceptions de la valeur, détachées de l’esthétique ou de la finance, pour retenir ce qui relève des « attachements ».

Les banques culturelles africaines trouvent leur origine dans une volonté de préserver le patrimoine local et d’éviter la spéculation autour du commerce des objets traditionnels, en proposant une alternative à leurs propriétaires. La collecte des artéfacts, leur documentation et les récits afférents recoupent des problématiques de l’art contemporain : les questions liées à l’objet et son contexte (à partir du readymade), celles de la valeur, les dispositifs de médiation, les pratiques de conservation et d’exposition.

Le programme « Archiver les récits d’objets » a pour objectif d’étudier les modalités d’enregistrement, d’archivage mais aussi d’exposition des objets et des récits tels qu’ils peuvent apparaître au sein des muséobanques. Il s’agit de réfléchir au cadre d’énonciation de ces histoires de vie et aux modalités possibles de leur restitution. Comment travailler à partir de récits autobiographiques, y compris sur un mode non verbal ? Comment cette démarche peut-elle être investie par une pratique artistique ? S’établissent ici des possibilités de médiation pouvant donner forme à des expositions.

L’approche du projet intègre les principes de la recherche-création, qui privilégie une réflexion critique de l’expérience. Les ressources des muséobanques ne sont pas là seulement un matériau à construire, mais également une matière à interroger et à travailler. Le projet invite à imaginer un «musée du temps présent» où la question de la « valeur » passerait par de nouvelles formes de négociation.

L’ensemble étant encore à l’état de projet, le travail s’est développé à titre expérimental à partir des objets de la collection du musée Théodore Monod de l’IFAN Cheikh Anta Diop en relation avec le Réseau des valeurs culturelles solidaires (REVACS) et l’association Maisons de la sagesse-Traduire.

Les nouvelles formes de la valeur

N’étant ni banque, ni musée, mais l’un interrogeant l’autre, les muséobanques questionnent la valeur des « biens » culturels, qu’ils soient matériels ou immatériels. Dans cette perspective, il s’agira de réfléchir à de nouvelles formes de la valeur qui ne soient plus seulement spéculative ou esthétique, et par la même à déterminer la qualité des « attachements ». 

La valeur « d’attachement » trouve ici une nouvelle importance. Ces dispositifs de solidarité tendent à déplacer la « valeur » de l’objet vers le récit. Reconnaître la valeur, c’est se déclarer attaché à la chose, se l’approprier en un sens qui n’est pas nécessairement « propriétaire » ; on se retrouve dans les êtres et les choses qu’on tient pour précieux. Il s’agit de gager la valeur du prêt (exprimée en monnaie) sur la valeur affective, la valeur d’appartenance de la chose engagée – valeur qui doit alors être « exprimable » (Jean-Philippe Antoine). 

C’est pourquoi réfléchir sur la valeur est un enjeu social et politique, mais également esthétique. Quels sont les changements de définition, de statuts des objets que provoquent les muséobanques ? Exposés, ces derniers sont-ils pour autant perçus comme œuvres d’art ? 

Plusieurs axes de recherche sont privilégiés : l’archéologie du concept de la valeur ; les valeurs culturelles, historiques et esthétiques des objets ; les dispositifs de traduction et de médiation ; les nouvelles formes de la valeur ; le devenir art des archives.

Photo de groupe de l'atelier-laboratoire au musée Théodore-Monod, Dakar
Atelier-laboratoire, musée Théodore Monod, Dakar

Ce programme de recherche s’inscrit dans le Réseau des valeurs culturelles solidaires (REVACS), privilégiant des coopérations entre les institutions culturelles et académiques, dans le prolongement des missions de Maisons de la Sagesse-Traduire. Il s’inscrit dans un espace de recherches et d’actions, dont le siège est à Dakar. Il est porté par un partenariat entre l’Université Paris 8, le laboratoire Arts des images et art contemporain (AIAC), les Archives nationales de France, l’Institut supérieur des arts et culture (ISAC) rattaché à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) de l’Université Cheikh Anta Diop (Dakar) et l’Université Gaston Berger (Saint-Louis). Il est soutenu par l’Université Paris Lumières, l’EUR ArTeC et le CNRS.