Le masque encorné cauris
Vidéo sonore en double écran, 5 min.
L’objet choisi est un masque exposé au 2ème étage du musée Théodore Monod. Il s’agit d’un masque facial anthropomorphe dont la partie principale est de forme ovale ; le centre du visage est creusé et forme un T en volume pour accueillir la cavité des yeux, signifiés par deux trous ronds ; le nez est long et en volume. Sur les côtés du masque sont sculptées deux oreilles en léger arc de cercle. Elles sont percées en haut et en bas et des fibres végétales y sont nouées.
La partie supérieure du masque est composée de hautes excroissances verticales qui symbolisent des cornes. Les cornes sont percées au point le plus haut et des fibres végétales rouges y sont nouées. Le tout est incrusté de cauris (variété de coquillages), en alternance avec des petites baies rouges. Le décor est disposé de manière or-donnée et symétrique sur l’ensemble du masque, marqué par une forte géométrisation des formes. L’intérieur du masque est creux afin de pouvoir être porté. Ses dimensions sont d’environ 54 cm de long et 23 cm de large. Il est exposé au cœur d’une vitrine centrale. D’autres masques de divers groupes ethniques sont disposés à ses côtés. La vitrine est éclairée par des petits spots ronds sur le plafond de la vitrine.
Le cartel qui lui est attribué indique : « Masque en ébène, Sénégal Dakar (Soumbédioune), Laobe ».
Le film raconte l’histoire du masque au sein du musée, de son exposition à son enregistrement. Sous la forme d’une enquête explorant différents lieux, se dessine la trajectoire de l’objet à travers l’espace et le temps.
L’histoire du cartel
(Alys Manceau, Mamadou Gningue)
Nom d’objet : Masque en ébène
Numéro d’inventaire de l’objet : N° 76.1.4
Sénégal, Dakar (Soumbedioun), Laobe Matière : bois d’ébène
Morphologie : Masque décoratif représentant une antilope.
Décor : séné de 2 courtes incisions sur les cornes et l’ensemble de la face.
Dimensions : L 23.5.1 : 5,3 cm : ép. : 4.4 cm Usage : décoration
Collecte r : A.Dagnene, 1976 ; DON
Lorsqu’on porte notre attention sur le contenu du cartel, on remarque certaines incohérences entre celui-ci et l’objet, en particulier le fait qu’il mentionne la représentation d’une antilope ; la matière n’est pas précise (on lit juste « ébène ») et les dimensions ne semblent pas correspondre.
On va voir dans le registre du musée, la plupart des objets acquis en 1976 sont un don d’Albert Daguerre à la République du Sénégal, (erreur de retranscription sur le cartel on lit « Daguesne »). On demande la fiche de l’objet. Avec la fiche on commence à penser que ce n’est pas le bon objet qui est relié au numéro d’inventaire 76.1.4.
Le lendemain, on retourne au musée, on fait le tour de l’objet et on remarque une inscription à l’intérieur du masque : on lit 76.1.79.
On retourne consulter le registre et on trouve à ce numéro quelque chose qui correspond davantage : « masque encorné cauris ». On demande la fiche qui est presque vide mais le peu d’informations qu’on trouve nous mène sur la bonne piste : Territoire : Mali, Préfecture : Ségou, Groupe ethnique : Bambara. Alors on se met à chercher sur internet les masques utilisés au sein de l’ethnie Bambara et on trouve un masque dont la morphologie se rapproche de celui qu’on étudie (bois sombre, décor de cauris, des cornes sur le dessus et la présence de fibres végétales). Ce masque est associé au rituel n’tomo. Lorsqu’on fait une recherche sur ce rituel d’initiation, on trouve que les différents masques utilisés ont tous la même morphologie, y compris celui qu’on étudie, avec quelques variations : certains sont ornés de têtes d’antilope, d’un personnage humain en volume, d’autres sont ornés de motifs spécifiques avec ou sans cauris. Le style diffère vraisemblablement selon le fabricant e la région. On fait donc l’hypothèse que ce masque est un masque n’tomo utilisé lors d’un rituel d’initi-tion au sein du peuple Bambara.
Par rapport au rituel N’tomo
Le terme « Bambara » signifie « infidèle » ; il a été donné aux populations de la vallée du Niger par les commerçants musulmans puisqu’à l’époque ces peuples n’étaient pas musulmans m,ais animistes et/ou fétichistes. Les Européens ont repris le terme de « Bambara » du 16e au 19e siècle. À pré-sent ces populations sont presque complètement converties à l’islam et le terme « Bamana » a remplacé celui de Bambara. Les territoires Bamana partagent un art de vivre commun : la bamanaya. C’est au sein de la bama-naya que les sociétés initiatiques comme le N’tomo, le Korè ou le Ci Wara se sont installées. Le masque du N’tomo est utilisé chez les Bamana et dans toute la vallée du Niger lors de l’initiation des jeunes garçons non-circoncis (de 6 à 13 ans).
La principale caractéristique de ce type de masque est l’abessence ou la quasi absence de bsouche. Cette particularité s’explique par la fonction même du masque, qui est utilisé pour apprendre aux jeunes garçons à contrôler leurs paroles, garder les secrets et supporter la douleur en silence. D’ailleurs, lors de cette initiation les jeunes garçons se livrent en silence à des duels de flagellation.
Le masque se porte avec un vêtement dit « dloki » qui se compose d’une blouse et d’un pantalon en coton ; il est accompagné d’un fouet que tient le porteur. Le porteur du masque est désigné par le garçon le plus âgé, un adjoint et deux assistants.
Ce rituel initiatique est obligatoire et contribue à l’éducation des jeunes garçons dans le passage de l’enfant à l’adulte. Il s’attache aussi à des questionnements métaphysiques et sociétaux.
Le masque peut être féminin, masculin ou androgyne. Un masque qui a 3 ou 6 cornes est masculin, 4 ou 8 cornes féminin et 2, 5 ou 7 cornes androgyne. Il est fabriqué par les forgerons du village qui ont l’exclusivité de la sculpture sur bois, étant donné que le bois contient une énergie dangereuse : le nyama. D’après Dominique Zahan le masque peut être sculpté dans 3 essences : m’peku, goni ou balanzan. Il est associé au dieu N’tomadyri, l’ancêtre des forgerons, créateur de cette société d’initiation. En dehors de l’initiation qui se déroule dans un espace clos et secret, la sortie du masque peut également avoir lieu quelques semaines avant la cérémonie à des fins divertissantes au sein du village, par exemple en ouverture des fêtes sogow.